Fondateur et ex-rédacteur en chef d'Arty Magazine, le grand manitou…
Professeure de Lettres à la ville et journaliste à la…
Originaire du Venezuela mais à Belleville depuis toujours, La Chica se définit comme un collage de cultures et de textures.
Son premier album Cambio bat la fièvre de l’engagement latino, au rythme de ses rêves surréalistes qu’elle transforme en hymnes électro pop. Elle nous en fait part dans son interview imagée, pleine de vie et de souvenirs.
Marin : Quand on tape ton nom sur Google, on trouve « arty » et « rêveur ». J’aimerais un peu plus creuser ton identité au-delà des mots-clefs, parce qu’il y a beaucoup d’engagement, de métissage, de production, et tout cela est présent dans ton premier album, Cambio. Je voulais savoir quel en était le fil directeur puisque cet éclectisme te définit aussi ?
La Chica : Absolument. Au moment où je me suis mise à composer, il y a plein de choses qui sont sorties d’une manière évidente et naturelle, et c’est ce collage de cultures dont je suis issue qui m’a fait aller naturellement vers une musique très composée. Ces éléments ne sont pas forcément faits pour être collés les uns aux autres, mais ils ont fini par se rassembler et former un tout auquel je m’identifie très fortement. Ce collage de cultures mêle des sons et des textures très différents qui viennent du folklore vénézuélien, de la pop européenne, que j’avais assimilés et qui font partie de ce que je suis.
Marin : Comment te situes-tu au milieu de ce collage de cultures et d’influences ?
LC. : Pour défendre cette musique, le seul moyen de partir au combat est d’être authentique, parce que je me rends compte que ma proposition est très hybride, comme moi, très chelou, comme moi, très différente, en tout cas très personnelle. Elle ne correspond pas aux clichés latinos, ni aux tendances urbaines et minimalistes grand public du moment. Pour assumer entièrement cette proposition, il faut qu’elle soit authentique. Et la manière la plus facile de faire quelque chose d’authentique, c’est de faire quelque chose qui me ressemble à 100%.
M. : Ce mélange entre les chants traditionnels et une tonalité plus pop, est-ce une structure imbriquée inspirée par le rêve ?
LC. : Mais oui, dans le rêve, il y a un collage d’éléments absolument absurdes, qui résonnent pourtant de manière très forte et très intense entre eux. C’est quelque chose qui m’inspire énormément. Quand je me réveille et que j’ai fait des rêves complètement improbables, je me dis que c’est génial à vivre dans sa tête. J’ai envie d’en faire quelque chose, j’ai envie de le transformer. Des fois c’est un peu plus difficile et pesant, et j’ai besoin de sortir cette ambiance de ma tête. Pour ça, il faut le transformer en musique, je ne peux pas le proposer de manière brute parce que ce serait trop violent ou trop dark. Pour moi, l’intérêt de l’art c’est de transformer les choses pour que ça résonne avec du vécu.
M. : Tu proposes aussi une continuité visuelle en collaborant notamment avec le studio créatif Temple Caché. J’ai le droit d’être d’en parler avec un millier de superlatifs ?
LC. : Ah complètement, moi je les trouve extraordinaires. Pour moi l’art est global et l’aspect visuel a toujours eu une énorme importance sur ce que je fais. Il fallait que les images résonnent de la même manière que ma musique, donc avec du collage. Quand j’ai rencontré Temple Caché, ils ont réussi à mettre en images ce que j’avais en tête et je les ai aimés très fort pour ça. Mon premier clip avec eux, Oasis, était ma carte de visite. C’était une manière de dire : voilà ma proposition est celle-ci, à prendre ou à laisser. On a re-bossé ensemble sur Be Able puis The Sea en utilisant des procédés différents avec lesquels on s’est amusés.
M. : Il y a aussi ton chant que je trouve très visuel, en tout cas qui évoque beaucoup d’images. J’avais une question sur le choix de la langue. Pourquoi l’espagnol est privilégié plutôt que le français ou l’anglais ? Pourquoi pas les trois ? Ce serait un hybride un peu étrange…
LC. : Tu veux dire dans un même morceau ? Je chante 90% en espagnol, c’est vrai, parce que c’est la langue de mes rêves et qu’ils m’ont beaucoup inspirée. C’est vrai que c’est sorti plus naturellement en espagnol au moment d’écrire mes premiers textes. C’est aussi une langue qui sonne et dans laquelle j’adore chanter. Je peux utiliser des métaphores et j’arrive à imager mes pensées très abstraites. C’est moins évident en français, je n’ai pas le génie du langage pour l’exprimer d’une manière intéressante. C’est arrivé comme ça, ce n’est pas forcément un choix. En fait, je ne me pose pas la question, je le fais naturellement pour ne pas perdre l’essence des choses.
M. : Le fait de chanter avec la langue espagnoles aux sonorités chaudes, très douces, crée un contraste particulièrement fort avec l’engagement de tes textes…
LC. : Bien sûr. Il y a une douceur dans l’espagnol qui me parle beaucoup et un aspect percussif que je m’amuse à faire ressortir, notamment quand j’ai des choses plus vindicatives à dire. Ce qui me plaît dans l’espagnol, c’est que je peux faire les deux. Ça me permet d’être très douce et de faire en même temps du rentre-dedans, sans que ce soit vulgaire ou grossier. En fait, ça m’amène une possibilité d’énergie.
M. : J’en arrive forcément à parler de la situation politique et sociale du Venezuela. Cette crise profonde que traverse le pays aujourd’hui, la ressens-tu comme une force ou une peine dans ton écriture ?
LC. : Avant tout comme une peine, une très grande peine… Je me sens brisée de l’intérieur. Chaque nouvelle qui arrive est à chaque fois pire que celle de la veille. C’est pas gagné du tout, la situation est catastrophique, et je n’exagère rien. C’est assez improbable en 2019 (ndlr, propos recueillis au MaMA Festival) d’imaginer une descente aux enfers aussi rapide. Ça m’a forcément atteinte très fort et conditionné beaucoup de textes que j’ai écrits pour envoyer de l’énergie aux gens de là-bas.
J’ai un sentiment d’inutilité très grand parce qu’à ma petite échelle c’est très compliqué de pouvoir faire quelque chose. Je ne vais pas partir faire la révolution, combattre la corruption. Par contre je sais que la musique sauve. Elle sauve des vies, des situations. Les mots aident. Et moi, c’est la seule chose que je puisse faire, donc je rends hommage aux gens de là-bas, en faisant un chant traditionnel vénézuélien ou en parlant au peuple latino-américain. J’ai un message d’énergie et de pensée positive, qu’on est parfois obligé d’aller chercher, et parfois c’est d’autres qui l’insufflent.
M. : Cet engagement, je trouve qu’il est aussi lié à l’ambiance cosmopolite de Belleville. Est-ce que tu la ressens ainsi ?
LC. : Oui, Belleville a un passif populaire de rebelles mais aussi d’artistes, des gens qui avaient des choses à dire. Il y a un combat qui est mené à Belleville et à Ménilmontant depuis très longtemps artistiquement. Il y avait des ateliers portes ouvertes tous les ans dans les années 90, beaucoup de squats qui n’avaient pas encore été fermés, tout le monde s’exprimait. Je trouvais cet état d’esprit génial, il y avait un côté village et un côté art de rue. Pour avoir vécu au cœur de tout ça, c’était normal pour moi. C’est après que j’ai compris que c’était un quartier à part. Belleville m’a façonnée.
M. : N’as-tu pas peur de la gentrification ?
LC. : Ça fait longtemps que je vois ce quartier changer, et ça continuera. Ce qu’il faut c’est le raconter dans des livres, des films, des documentaires, à travers la musique. Comme Montmartre qui devait être dingue le siècle dernier. Là c’est devenu un musée de ce que ça devait être, une parodie de ce que c’était. Mais au moins tout n’a pas été détruit.
M. : Cette tension, cette évolution des choses qui vont contre notre gré, avec Belleville ou le Venezuela, c’est une énorme force en tant qu’artiste, en tant qu’autrice ?
LC. : Il faut faire quelque chose de la frustration, c’est sûr, parce que ça nous endommage beaucoup trop mentalement si on la laisse nous envahir. Cette frustration je la change, je la transforme. La musique est une thérapie. Qu’est-ce qu’on fait de toutes ces émotions brutes si on n’en fait pas quelque chose ? L’art, ce n’est pas que du brut. Même le punk est arrivé avec un énorme concept, dans la production, le format des chansons, l’aspect vestimentaire… Cette frustration existera toujours parce que le système de vie humain n’est pas fait pour rendre les artistes heureux, il est fait pour les inspirer et leur donner des idées.
M. : En parlant d’artistique, tu connais sûrement notre question signature chez Arty Magazine. Quelle est ta définition d’une artiste ?
LC. : Un artiste est quelqu’un qui va transformer le brut en matière présentable. C’est quelqu’un qui va transformer la réalité et la redéfinir de manière esthétique, quel que soit son support. Le beau c’est relatif. Il y a des choses dérangeantes qui sont belles. Il y a un aspect dark qui peut être beau. La tristesse c’est beau. Et c’est aussi quelqu’un de patient qui accepte que les mentalités doivent s’adapter, et assimiler beaucoup de choses pour comprendre ce qui se passe artistiquement.